DER FEINSCHMECKER
juin 2002

 CAHORS arrive !

    (traduit de l'allemand)

UNE PLACE AU SOLEIL POUR LES JEUNES QUI MONTENT

Les « vins noirs» de Cahors, un vignoble du sud-ouest de la France étaient jadis plus célèbres que les bordeaux et les bourgognes. Aujourd'hui, la région fait un retour impressionnant, avec des vins puissants et complexes issus du cépage malbec.

Texte : Manfred Lüer.  photos : Günter Glücklich

 

«Le malbec est un des plus fabuleux cépages au monde», déclare Pascal Verhaeghe, vigneron de son état. «Il donne des vins puissants, complexes et élégants. Mais le malbec, c'est aussi beaucoup de travail: il a une maturité tardive, il craint le gel, la moisissure et le mildiou. Il faut donc procéder à une sélection très poussée dans le vignoble et effeuiller pour que les raisins reçoivent suffisamment de soleil en automne.» Jusqu'à présent, le jeu en a valu la chandelle pour Verhaeghe : à force de travail et de recherche de la qualité, cet œnologue de 41 ans a hissé son domaine du Château du Cèdre dans le peloton de tête de l'appellation Cahors, dans le sud-ouest de la France.

Pascal Verhaeghe avait succédé en 1988 à son père à la tête du domaine de Vire-sur-Lot. Les vignes prospèrent sur des sols argilo-calcaires graveleux dans la  vallée du Lot, une rivière dont les méandres traversent paresseusement l'appellation. Dans cette région située entre la Méditerranée et les Pyrénées, les conditions climatiques sont optimales pour la viticulture: ce mélange de climat atlantique et méditerranéen, avec suffisamment de soleil, de précipitations et de vent, offre des conditions idéales au malbec, un cépage rouge également connu à Cahors sous le nom d'auxerrois ou de côt.

C'est surtout à Pascal Verhaeghe que le nom de Cahors doit de retrouver la notoriété dans le monde du vin. Lors de dégustations en aveugle, ses vins du Château du Cèdre ont surclassé même de très grands crus du Bordelais. Et il semble que l'année 2001 soit en passe de devenir le plus grand millésime de Verhaeghe : les arômes de fruits noirs, d'olives, de réglisse et de violette sont encore plus purs que les années précédentes.
Sans Verhaeghe et une poignée d'autres vignerons, les crus de Cahors, célèbres par le passé, seraient presque tombés dans l'oubli, alors que dès le début du 14ème siècle, la région exportait déjà 40000 barriques de vin rouge. C'était le vin des papes, des rois et des tsars, un vin qui se vendait jusque dans les Indes orientales et en Amérique du Nord. Ce n'est qu'au 18ème siècle que les bordeaux rouges surpassèrent leurs concurrents de Cahors, et aujourd'hui, on ressent parfois encore cette rivalité sous-jacente. Le revers le plus grave, ce fut pour Cahors les gelées de 1956, qui ont dévasté presque tout le vignoble. Sans les familles de viticulteurs Vigouroux, Baldès et Gayraud, qui à l'époque, ont continué à croire à la vigne, le vignoble aurait certainement été rayé de la carte.

«Tout était mort», se rappelle Georges Vigouroux, 65 ans, en évoquant les dégâts occasionnés par le gel. Il possède deux des principaux domaines viticoles de Cahors, le Château de Haute-Serre et le Château de Mercuès. À la fin des années 60, Vigouroux a acheté le Château de Haute-Serre, tombé en décrépitude, et replanté 40 hectares de vignes sur un haut plateau. Le sol pauvre, argilo-calcaire, est parsemé de cailloux de la taille d'un œuf, dont Vigouroux explique les avantages: «Ils ont l'effet d'un chauffage: le jour, ils emmagasinent la chaleur, et la nuit, ils la restituent à la vigne.»

Les vins du Château de Haute-Serre sont marqués par l'ensoleillement abondant, une garantie de maturité des raisins: ils ont un caractère sucré «raisiné», mais une saveur fraîche et minérale et les tannins raffinés rafraîchissent agréablement le palais. Avec leur goût de prune opulent, leurs épices exotiques et leur structure riche, ils rappellent avec insistance les grands rouges de Pomerol.

Les crus du Château de Mercuès affichent des arômes de terre plus marqués, avec des notes délicates d'épices et d'herbes, de cannelle et de romarin. Le meilleur vin, baptisé «6666», pousse sur une parcelle où la densité de plantation est de 6666 plants de vigne à l'hectare. «Les pieds de vigne plantés en rangs serrés se font mutuellement concurrence, enfoncent donc leurs racines plus profondément dans le sol et extraient plus de choses du terroir du vignoble», explique Vigouroux, avant de déplorer que «malheureusement, tous les viticulteurs d'ici ne font pas attention à la qualité, certains continuent à miser sur la production de masse. Ces vins bon marché se retrouvent sur les linéaires des grandes surfaces, ou ils partent à l'étranger où ils donnent une image complètement fausse de la région.»

Afin de redorer le blason du Cahors, Vigouroux a créé en 1983 l'association de vignerons «Les Seigneurs du Cahors» en collaboration avec Alain Dominique Perrin, le patron de Cartier, dont le Château Lagrézette, à Caillac, produit de très grands vins. Sous la conduite du célèbre œnologue bordelais Michel Rolland, le Château Lagrézette produit aujourd'hui des vins comme la cuvée de prestige «Le Pigeonnier» : avec une densité immense et une structure crémeuse, extrêmement fine. Les «Seigneurs du Cahors» s'imposent des règles de qualité très strictes: au lieu de la densité de 4 000 plants à l'hectare officiellement requise par l'appellation, ils ont fixé la limite minimum à 5 000 plants à l'hectare et le rendement ne doit pas dépasser les 50 hectolitres à l'hectare.

Outre Vigouroux, Jean Baldès du Clos Triguedina, qui a passé la main à son fils Jean-Luc, fait aussi partie des pionniers de la viticulture à Cahors. Le Clos Triguedina possède au total 60 hectares de vigne sur les deuxième et troisième terrasses du Lot, dont deux hectares de pieds de malbec centenaires, gros comme le bras, une rareté mondiale. «Après les gelées, mon grand-père avait simplement coupé ces pieds au ras du sol», raconte Baldès fils, «et ils ont repoussé.»
Aujourd'hui, les petits raisins aromatiques de ces pieds constituent la charpente du «Prince Probus». Ce vin 100 % malbec a une expressive note fruitée de cerise, affiche des nuances nobles de chocolat et de réglisse et une subtile pointe de menthol.

Baldès produit également une spécialité baptisée «New Black Wine», un vin d'un noir de jais, épais comme de l'encre, un vin extrêmement concentré, qui embaume les fruits cuits, la prune et la cannelle. «Nos vins ne sont pas aussi noirs naturellement», indique le vigneron. «Autrefois, avant la fermentation, on les réchauffait à 40 à 50 °C pendant une douzaine d'heures. Cela concentrait le vin, le rendait plus sucré, ce qui correspondait au goût de l'époque.» C'est ainsi qu'est né le célèbre «vin noir» de Cahors. Pour produire sa spécialité, Jean-Luc Baldès a choisi de renouer avec la tradition des ancêtres.

Alain Gayraud, du Château Lamartine, à Soturac, mise sur le fruité, la race et la délicatesse. Ce viticulteur a sa propre idée du goût que doit avoir un cahors: «Récemment, un œnologue m'a reproché de faire des vins trop peu boisés pour être appréciés. Mais ce sont des vins de vigneron, pas des vins d'œnologue.» C'est une remarque à double sens, qui fait allusion à la querelle entre les anciens et les modernes en matière d'élevage du vin. Pascal Verhaeghe est le chef de file des modernisateurs: il mise sur la vendange tardive, l'égrappage complet des raisins et de beaucoup de bois neuf. Il utilise également la micro-oxygénation, une technique qui consiste à injecter d'infimes quantités d'oxygène dans le vin pour assouplir les tannins.

Les traditionalistes comme Alain Gayraud refusent ces «technovins» et préfèrent jouer la carte de la spécificité des parcelles. «Mes vignes produisent des raisins tout en finesse. Un excès de bois masquerait leur fruité», argumente Gayraud. Il vinifie à partir de la vendange des meilleures parcelles le vin de prestige «Expression» : le nez fin et expressif réunit des notes de fruits rouges, principalement de cerise, et un délicat ton boisé. Le goût est souple et plein, le vin a une structure harmonieuse.

Les anciens, comme Gayraud, Vigouroux et Baldès, et les jeunes qui montent ont cependant quelque chose en commun : l'attention qu'ils accordent à la qualité.
Parmi les nouveaux venus, on trouve Daniel et Cathy Fournié, du Château Haut-Monplaisir, et Didier Pelvillain du Château Cenac. Jusqu'en 1998, Daniel Fournié, agriculteur de 38 ans, vendait ses vins en barrique. Il a ensuite investi 400 000 euros et engagé Pascal Verhaeghe comme œnologue. Actuellement, la «Grande Cuvée Monplaisir» 2000 sommeille encore dans les barriques. Avec sa plénitude explosive et ses tannins fins, elle marque pour le domaine une nette avancée en matière de qualité.

Didier Pelvillain qui, avec ses frères Arnaud et Francis, a pris en fermage le Château de Cenac, a, lui aussi, profité de la rencontre avec Verhaeghe. Depuis 1998, les frères Pelvillain réduisent les rendements, sélectionnent plus sévèrement la vendange et vinifient à part la meilleure parcelle pour obtenir une nouvelle cuvée baptisée «Eulalie». Le 1999 a une robe rouge impénétrable, qui tire sur le noir, ainsi que de séduisants arômes de framboise et de cerise. Ce vin est encore surpassé par 1'«Eulalie» 2001 : fruité ferme, structure veloutée, finale interminable.

Avec «Primo Palatum», Xavier Copel, œnologue de 34 ans, de Morizès, mène ce qu'on peut appeler le projet viticole le plus insolite de France : «Je fais des vins que je veux boire moi-même», dit-il, «sans avoir mes propres vignes ou mon propre chai.» Copel fait élever ses vins rouges chez différents viticulteurs du cru. Les vins de Copel sont gigantesques et monstrueux, sans pour autant être des bombes fruitées simplistes. Son «Mythologia» 1996 est d'abord renfermé et animal, puis il s'ouvre dans le verre et exhale une profusion d'arômes purs de prune, d'olive et de réglisse. «Je veux des fruités masculins, d'une épaisseur liquoreuse, des fruits noirs», déclare Xavier Copel, «la première impression doit être dure et charnue, pas comme chez Verhaeghe, qui mise plus sur la fraîcheur et sur l'équilibre.»

Xavier Copel, né à Cahors comme Pascal Verhaeghe, doit beaucoup à son ami. «Quand nous avions tout juste 18 ans, nous avions une vision: faire du malbec d'envergure mondiale. C'est sur son domaine que j'ai pu élever mes premiers vins, Pascal m'a aussi ouvert les portes d'autres viticulteurs dans le sud et le sud-ouest. Les vignobles comme le Languedoc-Roussillon ou Madiran ont certes un potentiel énorme, mais pour moi, c'est Cahors qui a le plus grand.»

 

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